Docteur es sciences économiques à l’EHESS (Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, Paris), un temps chercheur associé au Cired/Cnrs, je suis l’auteur de grands reportages, d’une quinzaine d’ouvrages (essais, romans), d’articles scientifiques et de rapports sur la criminalité organisée.
Depuis septembre 2021, je publie chez Milan #PolarVert, une série inédite visant à sensibiliser la jeunesse aux crimes contre la nature et à la préservation de la biodiversité.
La Saison 1 (tomes 1 et 2) se déroule en la presqu’île de Guérande, autour de deux thèmes : les marées vertes et le trafic international de civelles (alevins d’anguilles, espèce protégée).
La Saison 2 aborde la question de la cohabitation des ours et des hommes dans les Pyrénées, faune, flore et contrebande. C’est la première fiction sur un sujet qui fait pourtant couler beaucoup d’encre…
Je suis par ailleurs scénariste (long-métrage, série tv) et réalisateur.

 

Mon portrait tiré à bout portant par un journaliste de France 3 en 90 secondes  :

Retour sur un parcours qui s’écrit et se vit loin des sentiers battus.

Après des études d’économie à Toulouse et Paris, vous publiez votre premier livre en 2000, suite à une étude réalisée pour l’OFDT dans le milieu techno. Comment en êtes-vous arrivé là ?
J’ai obtenu un DEA Civilisation et Développement à l’Université Panthéon-Assas en 1993. Deux ans plus tôt, dans le cadre d’un module d’économie internationale, j’ai découvert l’économie de la drogue, l’étude très scientifique de tout ce qui se rapporte à l’offre de drogue et les enjeux géopolitiques inhérents : la cocaïne et les cartels en Amérique du sud, l’héroïne élaborée dans le Croissant d’Or et le Triangle d’Or en Asie… Une économie souterraine aussi importante que le marché du pétrole, dixit le professeur de l’époque ; j’ai eu alors comme un déclic. Au cinéma, on appelle cela un incident déclencheur ! Ayant quelques notions de journalisme, apprises sur le tas dès le milieu des années 1980 à Toulouse, j’ai alors contacté Alain Labrousse, directeur de l’Observatoire Géopolitique des Drogues, qui m’a ouvert la porte et m’a orienté vers la Colombie. D’où le titre de mon mémoire de DEA : « logique économique de la cocaïne ». Une fois le diplôme en poche, je suis devenu thésard et suis parti en Colombie à plusieurs reprises. Puis dans d’autres pays, en tant qu’envoyé spécial de l’Observatoire.

Est-il vrai que vous avez écrit un livre au retour d’un voyage dans le sud de la Colombie, le seul qui n’a jamais été publié ?
Exact. Il s’intitule, Puerto del Sol, le port du soleil, et retraçe une aventure absolument extraordinaire, vécue par hasard avec Elise, une jeune journaliste française, dans les Llanos orientales. Nous avons réussi à passer les mailles du filet tendu par l’armée et la guérilla, je me demande encore comment !, et vécu quelques jours dans un village perdu au bord d’un fleuve : le Guaviare.

Lorsque la première nuit nous avons été réveillés par un bruit sourd, celui d’une avionnette, nous avons compris que le village était une plaque tournante du trafic de cocaïne. Nous apprenons le lendemain qu’un important laboratoire clandestin fabrique de la coke pour les trafiquants brésiliens, lesquels, arrivés la nuit par avion, se promènent comme si de rien n’était dans les rues du village.

Je me souviens surtout que le chef était une femme, et qu’elle ne s’est pas inquiétée de notre présence. Dans la veine du « réalisme magique » sud-américain. Le livre écrit en une vingtaine de jours, en apnée, j’ai fait le tour des éditeurs parisiens mais personne ne semblait se soucier de l’impact du trafic de coke, en France comme partout ailleurs. Pablo Escobar était mort deux ans plutôt, mais en France, cela restait une affaire de spécialistes. Ou de gros titres visant à faire vibrer la corde « émotion ».

C’est toujours le cas ?
Paradoxalement, c’est la fiction qui a fait surgir la réalité d’un trafic mondial disons stupéfiant ! Je pense surtout à la la série Narcos qui donne à voir la puissance des trafiquants, le cynisme des représentants des États, au nom d’une lutte idéologique contre le communisme qui ne sert finalement que leurs intérêts, souvent privés et croisés, et l’ampleur d’une économie souterraine démesurée. La fameuse guerre à la drogue est en réalité l’arbre qui cache la forêt : si elle n’a pas réussi à vaincre les cartels et autres groupes mafieux, elle a renforcé toutes les structures de lutte contre les stupéfiants.

Un traqueto (un petit trafiquant colombien) m’a expliqué comment le business était contrôlé dans son pays, et jusqu’aux USA : il ne vaut mieux pas le savoir… J’ai écrit un article scientifique pour l’UNESCO sur l’impact économique et social de la culture du pavot, et de sa transformation en morphine-base, sur la communauté Yanaconas dans la Cordillère colombienne. Un désastre humain et environnemental. Quand il s’agit de maximiser le profit, de sacrifier des hommes, des femmes et des enfants, rien n’arrête la machine à fric.

Comment êtes-vous parvenu à réaliser des recherches en France, sur un sujet aussi risqué ?
J’ai d’abord écrit des articles dans la Dépêche internationale des drogues, publié mes premiers grands reportages dans la presse et c’est là que j’ai intégré une petite équipe de chercheurs du CNRS, constituée de Michel Schiray et Nacer Lalam. A la fin des années 1990, nous nous sommes immergés dans le milieu techno, officiel comme clandestin, pour mieux comprendre les rouages du trafic de drogues, notamment d’ecstasy et de cocaïne.

La recherche s’est transformée, presque par miracle, en livre, Drogues et Techno, grâce aux bons soins d’une éditrice chez Stock et à l’appui de Jean de Maillard – qui écrira plus tard la préface de mon livre : La French Connection. Drogues et Techno taillait en pièces l’idée, largement diffusée par le président Chirac et ses affidés, selon laquelle le trafic de pilules était le fruit d’achats groupés, un simple « narcotourisme » entre la France et les pays du nord, Belgique et Pays-Bas en tête. En réalité, nous avons démontré que non seulement le trafic de drogues n’était pas l’apanage des raves parties et autres technivals, mais qu’il était aux mains de puissantes « équipes » nationales et transnationales. Lesquelles détenaient, et détiennent toujours, les immenses discothèques de la côte méditerranéenne, de Malaga jusqu’en Sicile. Business as usual.

Vous découvrez à cette époque les travellers, un univers très en marge du politiquement correct, ce que vous avez défini comme les technomades, les « nomades de la techno ». Pourquoi avoir écrit un livre de voyage ?
Comme pour Acid Test de Tom Wolfe, le récit se prêtait parfaitement à la dimension du voyage, à la rencontre au long cours avec des nouveaux nomades, à l’exploration d’une autre dimension, loin comme vous dites du « politiquement correct ». La vie ne s’arrête pas aux informations qu’on lit dans les journaux ou que l’on regarde à la télévision, fort heureusement. Technomades était aussi un défi et un engagement personnel : défi pour savoir si j’étais capable d’écrire un livre de mon incroyable expédition avec des travellers à Paris, en Iran et en Turquie – une commande du magazine Géo – et un engagement vis-à-vis des travellers qui m’avaient fait confiance pendant plusieurs mois. Raison pour laquelle il y a un CD, devenu culte depuis, dans le livre. Un hommage à leur création. Un livre CD, introuvable et devenu collector !

En 2002 et 2003, vous publiez la biographie non officielle de Francis le Belge, un gangster français présenté comme le « dernier parrain » du Milieu marseillais. Deux tomes, près de mille pages et une écriture très vive, cinématographique, proche de celle d’Ellroy. Est-ce un tournant de votre parcours professionnel ?
Oui, je le crois. Après le monde techno, Michel, Nacer et moi-même découvrons un autre univers beaucoup plus violent et sanglant : celui du grand banditisme français. On s’aperçoit alors qu’il n’existe aucune recherche sérieuse sur le sujet, une méconnaissance sidérante du Milieu et de ce que les policiers appellent les « beaux mecs » ou les « beaux voyous ». En septembre 2000, je suis à Paris, dans une voiture et je parle, justement, de notre recherche à une amie. A la radio, les infos ouvrent sur l’assassinat de Francis le Belge, tué de plusieurs balles en plein jour dans un bar parisien. A l’époque, il est présenté comme le grand parrain, intouchable ; en réalité, je vais vite m’en apercevoir après plusieurs mois d’enquête, ce n’est pas le cas. C’est ce que j’ai démontré en publiant les deux tomes, Emboucaner la planète et Casser la baraque.

Ce qui est incroyable, c’est la façon dont les Français se nourrissent de mythes et de légendes urbaines colportées par les mêmes fabriques de l’opinion. C’est le cas par exemple de Mesrine ou Spaggiari. C’est ce que j’ai démontré : l’instrumentalisation d’un homme, le Belge, qui a accepté de porter le chapeau du parrain, d’être l’arbre qui cache la forêt. Quant à l’écriture, ce fut un moment très douloureux : j’ai du réécrire près de trois cents pages, tout au présent. Mon éditrice m’a énormément appris sur ma capacité à me libérer. Je lui dois beaucoup.

Des critiques ont comparé ce travail à celui d’Ellroy, le célèbre écrivain américain. Qu’en pensez-vous ?
Difficile de réagir… Il y a la même volonté de mettre en évidence la matrice politico-mafieuse et, effectivement, un cousinage au niveau de l’écriture. Cela paraît incroyable, mais je n’avais jamais lu Ellroy avant d’écrire Le Belge ! Je prends donc ceci comme un compliment, un encouragement mais je crois, humblement, que la comparaison s’arrête là. D’ailleurs, à quelques exceptions près, les journalistes et autres agents d’influence se sont bien gardés de faire écho de mon travail, ou de le comparer. Le Milieu, le grand banditisme, c’est juste bon pour alimenter les pages « faits divers », le « comment ». Pour le « pourquoi », circulez, il n’y a rien à voir. Néanmoins, même si les deux tomes ne sont plus édités, Le Belge est devenu un livre culte par son audace et sa puissance d’invention.

De 2003 à 2007, vous ne publiez aucun ouvrage. Est-ce la traversée du désert ?
Non, pas du tout. J’ai eu la chance de poursuivre d’autres chantiers, notamment le cinéma et la recherche, d’explorer d’autres facettes de l’écriture.

Le cinéma ?
Oui, et c’est presque un film ! Fin 2002, je reçois un coup de fil sur mon portable : « Allo, bonjour, c’est Thomas Langmann. Je voudrais adapter le Belge. On peut se voir ? » Je me renseigne aussitôt pour savoir qui est Langmann – à l’époque il est peu connu du grand public, n’a pas encore produit Astérix ou Mesrine. Je le vois plusieurs fois, le courant passe, on est sur la même longueur d’ondes, il connaît quelques beaux mecs du grand banditisme, il sait que dans ce Milieu, la réalité dépasse la fiction. Pendant qu’il négocie avec Stock l’achat des droits pour l’adaptation, Thomas m’interroge sur les histoires de braquage, les modes opératoires des vols à main semblent le fasciner. Je lui fais part d’un hold-up que la Brise de Mer, un puissant clan de gangsters corses, aurait du réaliser au milieu de la Méditerranée. Un scénario incroyable qui répondait au slogan de la Brise : zéro faute, zéro risque. Langmann me demande alors d’en écrire le scénario, ce qui est tout nouveau pour moi, un sacré challenge.

Le film est-il sorti en salles ?
Non. Le film coûte cher, il s’agît d’un braquage en pleine mer entre Toulon et Bastia, et Langmann, à ce moment-là, a bu la tasse avec Blueberry, et se lance à corps perdu dans le diptyque Mesrine. Ce n’est pas grave : cela m’a permis de comprendre tout l’art de la dramaturgie, les règles de l’écriture cinématographique. Un grand saut qualitatif, comme on dit chez les chercheurs… Et de découvrir le monde impitoyable du cinéma ! Comme le dit l’Affranchi Scorsese,

« J’ai besoin d’apprendre des choses nouvelles. Pas forcément de les réussir. »

Et l’adaptation de Le Belge ?
Disons que le producteur et l’éditeur ne se sont pas entendus sur les modalités du contrat. Je préfère ne pas en parler… Mais il n’est jamais trop tard pour le faire !

Après le cinéma, vous réalisez une nouvelle recherche sur le grand banditisme. C’est là que vous rencontrez Isabelle Prévost-Desprez…
Oui, et par le plus grand des hasards. Nacer, Michel et moi, nous rencontrons une juge d’instruction à Nanterre. Comme elle est là depuis peu, elle nous renvoie sur Isabelle Prévost-Desprez qui venait tout juste d’arriver à Nanterre après son passage au Pôle financier. A l’époque – on est en 2003 ou 2004, je cherche un grand projet d’écriture qui pourrait permettre aux lecteurs de mieux comprendre les rouages du crime organisé français, son infiltration dans la sphère politico-administrative. Quand je suis entré dans son cabinet, j’ai tout de suite senti que j’avais frappé à la bonne porte, celle d’une femme qui ne se baisse pas son regard face à un ténor du barreau.

Pourquoi ?
Car Isabelle, au-delà de son expérience, lit énormément de polars, de thrillers, et a toujours rêvé d’écrire, de détricoter les coulisses de la machine judiciaire, les enjeux du pouvoir, ce que l’on pourrait appeler le « capitalisme à la barbichette » typiquement français. Je lui ai donc proposé d’écrire une série de livres sur les affaires politico-financières, en me servant évidemment de ma petite expérience, elle a accepté sans hésiter ! Quelques mois après, Claude Durand, le patron de Fayard, lisait le projet, une série de quatre livres, et nous donnait rendez-vous rue des Saint-Pères dans la foulée. On a donc commencé à travailler sur Le Secret d’Arcadia début 2006.

C’est un vrai travail à quatre mains ?
On a construit les intrigues, les arches narratives à partir des dossiers que pourrait instruire notre héroïne – une juge, évidemment –, on a imaginé la galerie de personnages avant d’écrire un séquencier. Là, Isabelle a pris sa plume et a écrit le squelette du livre à partir des séquences que je lui ai soumises. Je suis intervenu pour habiller le squelette de chair et de sang tout en gardant la main sur la dramaturgie. Comme c’était une série, ce fut un énorme chantier !

Le Secret d’Arcadia, le premier tome des aventures de Julie Cruze, n’a pas eu le succès attendu. Que s’est-il passé ?
C’est un problème, au fond, d’éducation. Les Français, de façon générale, n’ont aucune idée de ce qui se trame dans les couloirs des palais de Justice, dans les bureaux des flics et si la fiction, je pense aux séries TV, leur raconte une histoire, ce n’est jamais la réalité. Ou si peu. Ce qui est surprenant car cette réalité dépasse de loin toute imagination ! En France, encore aujourd’hui, il est toujours difficile de montrer du doigt les dysfonctionnements de la société. Regardez les affaires qui ont balisé l’élection présidentielle de 2012, autant de retournements de situation, de nœuds dramatiques qui font de cette élection n’ont pas un thriller mais une comédie bien « française ». Rares sont ceux qui peuvent « traverser le miroir », comprendre ce qu’est vraiment la puissance de clans qui oeuvrent au grand jour depuis les années 1920. Dès la sortie du Secret d’Arcadia, en 2007, nous nous sommes rendus compte qu’il existait une « liste noire » concernant certains juges, ces hommes et femmes que l’on habille dans les médias, par la grâce d’éditorialistes qui ne demandent qu’à faire allégeance, du costume de « juge rouge »…

De la part des journalistes ?
Oui, d’une poignée, mais pas n’importe lesquels. Isabelle Prévost-Desprez a perquisitionné les locaux de l’Équipe en 2004, dans le cadre d’une sombre histoire de fuites de procès-verbaux liés à une affaire de dopage. Ce fut la goutte qui a fait déborder le vase. Depuis, et c’est un journaliste de renom qui me l’a confirmé, il était exclu de parler d’elle dans certains journaux. Une forme de punition, comme dans la cour de l’école… Et que l’on vienne pas me dire que cela n’existe pas !

Six mois après Le Secret d’Arcadia, co-écrit avec Isabelle Prévost-Desprez, vous publiez Beaux Voyous, l’histoire de la French Sicilian Connection. Vous remettez de nouveau en question quelques épisodes du Milieu comme le Casse de Nice ou la guerre entre Francis le Belge et Tany Zampa et revenez sur les conditions dans lesquelles le juge Michel a été assassiné. Sur quel matériau vous basez-vous ?
J’ai rencontré plusieurs truands, des ronflants comme on dit dans le Milieu dans le cadre de ma dernière recherche pour le CNRS, et croisé leur témoignage. L’objet était d’analyser le Milieu, ses truands, ses « équipes », sous l’angle de l’économie industrielle, des stratégies. Il existe en effet une longue tradition des groupes de braqueurs et d’équipes de trafiquants, surtout d’héroïne, en France et une évolution de ces clans, souvent liés par le sang et la parenté, très intéressante à observer. D’autant plus qu’aucun chercheur ne s’y est aventuré, non pas parce que cela pourrait être périlleux, mais tout simplement parce que les politiques, les élus, ne jugent pas utiles d’acquérir une connaissance scientifique sur le sujet. S’ils veulent s’en tenir aux seules enquêtes de journalistes, à la fabrique de légendes urbaines rarement remises en question, il faudra qu’ils en rendent compte, un jour, à leurs administrés… Il ferait mieux de s’intéresser aux chambres de compensation clandestines ou aux réseaux de collectage et de blanchiment d’argent.

Vous voulez dire que le Milieu ne fait l’objet d’aucune recherche publique ?
Hormis les trois recherches que nous avons réalisé, c’est le désert ! Comme si comme si tout cela n’existait pas ou si peu, alors que cela fait la Une des médias quasiment tous les jours. Quel paradoxe ! Avec le recul et plusieurs années de travaux, c’est facile à comprendre. Ce que l’on appelle le Milieu ou la pègre, depuis la fin du 19ème siècle, a bien changé. Si des gangs continuent à braquer ou à trafiquer, certaines familles ont pris exemple sur les (délinquants en) cols blancs : elles ont compris, dès les années 1960, que la plus grosse banque à braquer, c’était la caisse de l’État, des collectivités et plus tard de la Communauté Européenne ou du FMI. « Taper » la TVA en particulier. Il est alors facile d’imaginer l’entrisme de tels réseaux de malfaiteurs, mais doit-on les appeler ainsi ?, au cœur même des centres de décision, publics et privés. Tel est, en tout cas, le constat de plusieurs juges du Pôle financier de Paris, et de policiers spécialisés. La France est le seul pays occidental, membre du G7, qui ne possède pas de centre de recherche sur le grand banditisme, la grande délinquance financière ou les trafics internationaux. Pourtant, la liste est longue ! Mais il est vrai que la France est un pays d’exception, non ?

Alors que démontre le livre « Beaux Voyous » ?
Qu’il ne faut surtout pas se fier aux apparences, qu’il faut se méfier du silence, que l’ombre est plus troublante que la lumière. Qu’il existe à la fois une très grande solidarité entre les trafiquants français, italiens ou américains mais que, dans le même temps, le jeu de dupes est omniprésent. Pour survivre dans un tel univers, il faut être sacrément intelligent, savoir se servir de l’expérience des générations passées, être toujours aux aguets. « Beaux Voyous » permet de suivre les aventures de plusieurs trafiquants et pose de nombreuses questions sur la place d’un homme dans une société, son lieu de naissance, son éducation, sa timidité, son courage et ses fantasmes, son rapport à la mort. A l’interdit, à l’argent. Des questions universelles. Raison pour laquelle c’est un document qui se lit comme un roman.

En 2008, vous avez publié la suite du Secret d’Arcadia, avec Isabelle Prévost-Desprez. L’Affaire Coobra n’a pas été un best seller…
C’est le moins que l’on puisse dire ! Pour une fois, les lecteurs du tome 2 L’Affaire Coobra avaient l’occasion de plonger au cœur de la manipulation dont sont victimes les juges et les policiers ayant à cœur de rendre une justice équitable. Et ils ne l’ont pas fait. Vous voyez, quand je vous dis que c’est un problème d’éducation !

Pourquoi ?

Mystère et boules de gomme. Ce qui est curieux, c’est que la littérature américaine sur le sujet, ce que l’on appelle le legal thriller, cartonne en France. Qui n’a pas lu un Grisham ? Est-ce à conclure que les Français préfèrent regarder vers les États-Unis et fermer les yeux sur les affaires politiques liés à la délinquance financière en France ? Ce qui est certain, c’est que ces mêmes lecteurs ont une circonstance atténuante : ils n’ont pas été informés de la sortie de l’Affaire Coobra. Un paradoxe lorsque l’on sait que l’un des auteurs n’est autre qu’Isabelle Prévost-Desprez, rendue célèbre par des actions, rondement menées, par des individus issus de coteries trafiquantes, ces pôles d’excellence où l’on retrouve les hommes-clés du pouvoir légal et illégal.

Cependant, je voudrais faire deux observations : la première, c’est que personne ne s’émeut de la forte pression qu’exerce les hommes politiques sur les magistrats dans un pays qui se flatte d’être un modèle de démocratie. Pour preuve, le jeu à trois bandes que peut exercer un chef d’État pour placer « ses » hommes à la tête de la Cour d’Appel de Paris, par exemple. Deux, si les Français ne s’intéressent que si peu à la délinquance en cols blancs et au grand banditisme, c’est pour une raison évidente : ils n’ont aucune possibilité d’en connaître les ressorts vu qu’il n’existe pas, en France, d’hommes ou de femmes capables de leur expliquer le système de ce que j’ai défini comme la coterie trafiquante. En Italie ou aux États-Unis, de nombreux chercheurs éduquent leurs concitoyens, leur expliquent comment ça marche. En France, on préfère chasser les sorcières dans les cités, affirmer un discours sécuritaire pour susciter la peur dans une stratégie qui relève du marketing politique. Sans oublie le clientélisme qui permet in fine de maintenir un homme au pouvoir, rarement une femme, et la paix sociale dans les quartiers où le chômage bat tous les records.

Vous avez enfin soutenu votre thèse début 2010…
Oui, enfin ! Je le dois surtout à la volonté de Michel Schiray, mon directeur de recherches qui tenait absolument à ce que je termine mon travail sur le grand banditisme. Une partie de la thèse a été publiée sous le titre La French Connection. On ne dira jamais assez que le trafic d’héroïne, couplé à bien d’autres commerces légaux ou illégaux, est, comme en Italie, le facteur de développement de firmes trafiquantes franco-françaises qui n’ont rien à envier aux puissantes organisations étrangères. Ce que personne ne sait, c’est que les firmes d’alors, toujours en activité, sont non seulement appréciées par les « patrons » étrangers, mais surtout craintes, preuve d’une grande puissance financière et militaire.

Comment passe-t-on de la French Connection au livre Stars & Truands » publié début 2013 chez Fayard ?
Il existe des ponts naturels, pas toujours ceux que l’on croit, à commencer par la drogue, les call-girls ou tout ce qui se rapporte au jeu, au sexe. Sans oublier les hommes de l’art : notaires, avocats, policiers, financiers, banquiers… La liste est longue. Vous savez, Le Milieu, la Mafia, c’est un prestataire de tous les services. Une industrie. Nous vivons dans un monde où l’échange de services est une norme, un mode opératoire qui est l’une des clés de compréhension de la corruption. Et les mafieux ne sont pas toujours ceux que l’on nous donne à voir ou à lire. Ils l’ont compris dès les années 1920, dès que le cinéma est devenu parlé, la poule aux œufs d’or. Réalité, fiction… Ne dit-on pas, entre affranchis, « There’s no business like show business » ?

En septembre 2013, vous avez publié votre onzième ouvrage aux Éditions de La Martinière, « Les Héritiers du Milieu – de la Corse à Paris ». Une infidélité à votre éditeur Olivier Nora chez Fayard ?
Non, pas le moins du monde. Un éditeur de La Martinière m’a tout simplement contacté et m’a demandé de réaliser un document sur le crime organisé en France. J’avais carte blanche. Nora m’a souhaité bonne chance, comme il le fait toujours avec élégance. L’assassinat de l’avocat corse en octobre 2012, Me Sollacaro, a chamboulé quelque peu mes plans mais il ne fait que confirmer hélas ce que j’entrevois depuis une dizaine d’années, à savoir qu’il existe toujours une chape de plomb sur la thématique de la « mafia » au sens premier du terme, que je résume d’ailleurs dans le livre par une citation d’un ancien trafiquant de la French Connection. Voilà comment l’actualité a frappé à ma porte et m’a poussé à réfléchir en termes de « coups de vice », l’une des règles fondamentales du Milieu, et de la politique, et à me servir de l’éclairage de vieux voyous à qui « on ne la fait pas »… Par ailleurs, je fais découvrir dans Les Héritiers, et c’est une première, la cavale d’un ancien braqueur de la Dream Team, un individu que j’ai suivi pendant plusieurs semaines, embedded comme on dit chez les Anglo-saxons. De quoi nourrir bien des fictions… Raison pour laquelle j’ai eu l’idée de créer et de diffuser une bande-annonce, un teaser. J’ai été le premier à le faire, en France, pour lancer un document.

Et toujours la French Connection !
Après avoir livré en octobre 2014 un livre document sur le juge Michel, tué par balle en octobre 1981 à Marseille, j’ai publié les mémoires de Milou, un truand corso-marseillais de « poids », comme on dit dans le Milieu. Le livre, au-delà du parcours incroyable du truand, raconte Marseille comme la raison sociale du grand banditisme, de la mafia si on y inclut les deux autres piliers : police et politique. Le trépied universel du business, qu’il soit légal ou pas. Dans ce pavé de 400 pages édité chez Robert Laffont, le lecteur s’est régalé, c’est en tout cas le retour que j’ai eu. Ne reste plus qu’à écrire une série tv sur la French Connection, depuis la guerre du Combinatie jusqu’à la fin des années 1980. Les Américains s’y attellent, un producteurs français y réfléchit…

Votre premier film documentaire a été diffusé fin 2018 sur la Chaine Histoire. Que retirez-vous de cette expérience ?
J’ai commencé à travailler sur l’Aéropostale en 2007. A l’époque, j’étais allé au Brésil tourner quelques images, capter des entretiens, j’avais bossé énormément, mais le producteur n’avait pas réussi à trouver de diffuseur. Aucune chaine ne voulait d’un film, pourtant le premier, constitué d’images d’archives et reprenant le fil chronologique de l’histoire de la Ligne, de 1918 à 1933.
On parle de Mermoz, de Saint-Exupéry, des hommes très célèbres dans le monde entier !
Au même moment, j’avais écrit un projet de documentaire sur les gangsters français, même résultat : pas de « clients » comme on dit dans les boites de prod’ !
En 2016, en vue du centenaire, du premier vol entre Toulouse et Barcelone (déc. 2018) et de l’ouverture de L’Envol des Pionniers, à Toulouse, on a ressorti le projet Aéropostale et c’est la chaine Histoire qui a accepté de co-produire et diffuser le film pendant 4 ans. La Chaine ViaOccitanie a suivi, tout comme la Région Occitanie.
Grâce à Toulouse Métropole, il existe une version anglaise qui, je l’espère, permettra au film de faire le tour du monde !

Allez-vous poursuivre votre travail sur l’aéronautique ?
J’ai plusieurs projets dont un qui est très ambitieux et dont le nom de code est : La Ligne 2025.
La commémoration au Brésil du centenaire de l’arrivée des premiers Bréguet XIV.
Dans la même veine, je voudrais créer un parcours sonore et géolocalisé, qui permettrait aux petits et grands de se balader en la métropole toulousaine, de découvrir l’histoire de l’Aéropostale, et plus largement de l’aéronautique, à l’aide d’une application.
Ce serait l’occasion, enfin, de créer des passerelles entre l’Aéronautique, l’Espace, la Culture et les Arts autour d’un projet artistique original. Et pourquoi pas de créer un réseau social occitan tourné vers le futur. Mais là non plus, c’est pas gagné : c’est en effet troublant d’être le témoin de la frilosité des décideurs qui, d’un côté, affichent haut et fort leur désir de plonger dans le nouveau monde, de l’autre, sont dans l’incapacité d’apprécier un projet numérique. J’ai même rencontré une personne qui m’a affirmé que mon application, dont l’atout est la géolocalisation, n’est pas, elle me l’a juré droit dans les yeux, géolocalisée… !

Des projets de recherche autour de la criminalité organisée ? 
Depuis début 2024, je mène une  recherche sur l’impact environnemental de plusieurs produits stupéfiants. Recherche inédite en France et disons exploratoire. Immense chantier. On ne peut pas imaginer à quel point la déforestation, notamment en Amazonie, la destruction des espèces protégées, la pollution des sols, de l’air, sont la conséquence directe du business de la cocaïne. Il en est de même avec le cannabis, notamment au Maroc ou à Madagascar, le pavot partout sur la planète et les drogues de synthèse en Europe. Sans compter tous les trafics annexes et connexes qui donnent la mesure d’un crime très organisé et difficile à désorganiser.

Quelle est votre dernière publication ?
« Les arbres magiques« , le tome 2 de la deuxième saison de ma série Polar Vert éditée chez Milan.  Il est sorti en avril 2023. C’est la suite du tome 1 : « La malédiction de l’ours« .
#PolarVert est une série de romans visant à sensibiliser les lecteurs, enfants comme parents, à la protection de l’environnement, et à la criminalité environnementale.
C’est à la fois une série littéraire d’espionnage, un polar et un thriller, un nouveau défi !

Polar Vert s’adresse à quel public ?
Principalement aux « jeunes adultes », aux ados, mais aussi à tous ceux qui s’intéressent aux crimes contre le vivant, à la préservation de la biodiversité, au dérèglement climatique, aux angoisses et défis des nouvelles générations, au terrible conservatisme des boomers et des climato-sceptiques, car, oui, tout est lié, bien plus que l’on ne le croit !
La Saison 1 (tomes 1 et 2) de #PolarVert met en scène Klervi, une jeune bretonne  meurtrie par la mort de son cheval qui a inhalé du sulfure d’hydrogène – un gaz mortel à haute dose provenant de la décomposition des algues vertes. Et par le coma de son frère jumeau. L’enquête des gendarmes sur la plage va obliger Klervi à prendre ses responsabilités, je n’en dit pas plus, et surtout à prendre conscience des dommages environnementaux, elle-même étant lié à un trafic de civelles (petites anguilles)…
Le premier tome est sorti le 25 août 2021, le second en février 2022.
C’est l’occasion rêvée d’éveiller petits et grands aux crimes environnementaux qui affectent notamment la Bretagne et les Pays-de-la-Loire : le trafic d’espèces protégées (civelle ou petite anguille)  et la prolifération des algues vertes – voir notamment « l’enquête interdite » de la journaliste Inès Léraud sur les marées vertes.

La série comprend seulement deux tomes ?
Le concept de Polar Vert, c’est 1 saison = 2 tomes = environ 50 chapitres.
Chaque saison, il y en a deux, peut se lire séparément.
J’ai repris les codes des séries tv pour que les ados s’y retrouvent plus facilement. Les deux premiers tomes forment la Saison 1, et bouclent l’enquête menée par Klervi au sein du clan breton de Lucas, dont elle est éperdument amoureuse, une famille d’hommes d’affaires doublés de trafiquants. Puissants,  discrets et redoutables.
À noter que le tirage du tome 1 a dépassé les 11.000 exemplaires, signe d’une forte attente des lecteurs, ados mais aussi adultes.
La Saison 2 embarque le lecteur loin de la Bretagne. On suit évidemment Klervi Marzan, l’héroïne de #PolarVert, dans un univers où il sera toujours question de lutter contre des trafics, et de protéger la nature contre ses prédateurs, en premier lieu l’Homme, cet animal ayant foi au seul profit, fabriquant des lois pour s’en affranchir, qui est en train de commettre l’irréparable en détruisant son environnement. Dans mes romans, je propose néanmoins des solutions : l’espoir fait vivre, non ?

Quelle est votre principale satisfaction ?
Le succès de la série évidemment mais surtout les actions pédagogiques réalisées par les enseignants, du primaire jusqu’à l’université !
J’ai recensé les actions par matières dans l’onglet « polar vert à l’école« .
Les Éditions Milan ont mis en ligne une note pédagogique sur le site, génial !
Enfin je suis très fier d’avoir participé au festival international de Lyon 2023, Quais du Polar. Le tome 1 « Les Algues Assassines » faisait partie des six finalistes du prix « Polar en série », et j’ai été l’heureux parrain d’un concours de nouvelles sur la criminalité environnementale, le premier du genre.  Je ne pouvais pas rêver de mieux !

Et pour 2024, des projets ?
Pour l’instant, je réfléchis à poursuivre la série Polar Vert, écrire deux nouvelles saisons pourquoi pas sur un territoire ultramarin. La France possède le deuxième domaine maritime mondial, après les États-Unis, des départements et territoires très riches en biodiversité mais qui sont malheureusement la cible des mafias vertes, lesquelles ne sont pas que des groupes criminels…
Je suis très fier d’avoir créé un jeu enquête  : Polar Vert dans les Jardins du Muséum (de Toulouse), un jeu pour les scolaires, les familles, visant à découvrir les plantes rares et les arbres de demain, ceux qui s’adapteront en nos contrées au dérèglement climatique et nous aiderons, espérons-le, à survivre aux catastrophes qui viennent.  Le jeu sera disponible d’avril 2024 à octobre, peut-être plus, qui sait ?
J’ai aussi une proposition d’un éditeur de BD pour écrire 6 tomes sur la criminalité verte.
Enfin, je vais publier chez Nouveau Monde Éditions un polar « tonitruand » le 15 mai 2024 : « Une légende corse » – avec le soutien du Centre National du Livre.  Sous-titre : e cose torte strappanu. C’est une longue séquence (un cycle lunaire), racontée par trois personnages en mode Rashomon, qui met en scène la chute d’un parrain corse et, en contrepoint, la naissance d’une légende du grand banditisme.

Si vous aviez un message à faire passer ?
La curiosité est le moteur de la vie. Sans elle, je n’aurais jamais écrit, jamais couru le monde, jamais connu des personnages hors normes qui m’ont fait, à leur tour, confiance. Ou défaut, mais ça c’est une autre histoire. Curiosité, don, échange…
Tout est possible. Tout. Il faut juste avoir la force et l’énergie de s’en convaincre. Mais attention à ne pas se faire duper, pis trahir, surtout si vous bousculez les idées reçues et restez hors des sentiers battus.